L’Hermione : comment aborder la reconstitution ?

L’Hermione était une frégate construite au XVIIIème siècle, pour que La Fayette aille aider les insurgés américains dans leur indépendance vis-à-vis des anglais. Sa reconstitution a mis quelques années à être réalisée et soulève des questions à propos du patrimoine et de sa conservation. Elle se rapproche de l’archéologie expérimentale, qui vise à reproduire des technicités ou architectures ayant déjà existé auparavant, comme c’est également le cas pour le chantier du château de Guédelon. Comment peut-on savoir si la modélisation est proche de l’original ? Et j’en entends déjà certains dire : à quoi ça sert ?

L’Hermione

Dans la mythologie grecque, Hermione est la fille de Ménélas et d’Hélène, fille d’Océan. Hermione serait donc la petite-fille de l’Océan, ce qui explique que ce nom ait été donné à plusieurs bateaux.

L’originale

Construction et mise à l’eau

La frégate est construite à Rochefort sur la volonté du roi de faire une série d’arsenaux. On parle de frégate puisque c’est un navire à trois mâts et un seul point de batterie. Toujours sur la décision du roi, la construction est entamée le 2 novembre 1778 et dure 6 mois. Elle est mise en mer le 28 avril 1779.

carte-marine-suivez-la-progression-de-l-hermione_2331965_660x531

L’Hermione, La Fayette et l’Amérique

Le Marquis de La Fayette embarque sur l’Hermione le 10 mars 1780, commandée par Louis René Madeleine Le Vassor de La Touche (retenons « La Touche ») et arrive à Boston après 38 jours. Il s’agit d’une mission secrète commandée par le roi, pour que La Fayette prévienne Georges Washington de l’arrivée des renforts français, militaires et navals, pour les aider dans leur insurrection contre les troupes anglaises.

Une mission reste tout de même importante pour la France, celle de 1782 lorsque La Fayette rapporte avec lui une ébauche d’un document appelé par la suite « la déclaration des droits de l’homme ».

1280px-Washington_and_Lafayette_at_Mount_Vernon,_1784_by_Rossiter_and_Mignot,_1859

Rencontre entre Washington et La Fayette à Mount Vernon, Rossiter and Mignot, 1784

Et pourquoi La Fayette et pas un autre (me direz-vous) ? Une théorie explique que ce marquis était fortement marqué par l’esprit des Lumières et faisait partie de la franc-maçonnerie, fortement engagé pour l’indépendance américaine. Logique alors qu’il ait été choisi pour cette mission, puisque, toujours selon cette théorie, la révolution américaine aurait été menée par les Francs-Maçons.

La fin de l’Hermione

Une fois sa mission militaire terminée, la frégate prend son deuxième rôle : escorte de navires marchands, notamment en Inde. En 1793, le bateau touche les hauts-fonds au large du Croisic et y sombre quelques heures plus tard.

La réplique

Un projet de l’association « Hermione – La Fayette »

Plusieurs entités ont été nécessaires au lancement de ce projet pharaonique, voulant reconstituer ce navire, un des meilleurs vaisseaux de guerre et célèbre pour sa rapidité. C’est sur l’initiative du Centre International de la Mer que l’idée a été lancée, puis grâce à l’association « Hermione – La Fayette » que le projet prend forme et c’est ensuite le Centre de Recherche pour l’architecture et l’industrie nautiques qui s’occupe de rassembler et étudier les documents nécessaires à cette reconstitution.

Sur quoi se baser pour faire la reconstitution ?

Un principe essentiel à toute étude d’histoire de l’art et d’archéologie : une estimation doit toujours reposer sur plusieurs pistes. Il y a eu principalement des gravures d’époque, un plan de la frégate « La Concorde » qui est assez similaire, et surtout l’épave retrouvée au large du Croisic.

432348_17009638_460x306

Le chantier et son utilisation actuelle

Le chantier est démarré en 1997, toujours à Rochefort et dans les conditions les plus proches possibles de celles du XVIIIème siècle. Pour cela, l’association a fait appel à des historiens des techniques navales et des spécialistes de la restauration de Monuments Historiques. Il a duré 17 ans avant que la frégate soit remise à l’eau, direction les Etats-Unis avant de revenir cet été à Brest.

Aujourd’hui, il est commandé par l’ancien dirigeant du « Belem » avec une équipe de plus de 70 bénévoles pour une traversée trans-atlantique. Tout le quotidien de l’équipage est disponible sur le journal de bord sur le blog de l’Hermione.

Elle est visible au port de commerce du Brest, jusqu’au 17 août 2015.

Avantages et inconvénients de la reconstitution

La pratique de la restitution archéologique n’est pas une nouveauté, elle a débuté au XVème siècle à Rome et consiste à restituer des parties abîmées ou disparues, généralement pour un bâtiment historique. La définition actuelle insiste sur la conservation du patrimoine concerné, en essayant de figer en l’état et non de reproduire l’état d’origine (et donc de reconstruire). Dans notre cas, il s’agit de reconstitution, plus proche de la reconstruction que de la restitution, puisque la frégate actuelle a été entièrement refaite.

Laisser en l’état ou reconstruire ?

Aux origines de la restitution et reconstitution, un vieux débat subsiste entre deux modèles diamétralement opposés, développés au XIXème siècle. La théorie la plus connue est celle de Viollet-le-Duc, qui préconise la reconstruction totale des ruines :

« Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné » cf. Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIème au XVIème siècle, 1858-1868

Il est notamment intervenu pour Notre-Dame de Paris qui tombait en ruines. Vous pouvez observer son travail de reconstruction complète notamment à la croisée du transept de la cathédrale, en regardant sur le mur sud de la nef : l’élévation que vous y verrez (à gauche de l’image) est celle que Viollet-le-Duc pensait être celle du Moyen Age, laissant le reste de ce mur dans l’état dans lequel il l’a trouvé (à droite de l’image).

ma_elevation_notredame

Elévation de la nef, mur sud, Notre-Dame de Paris

L’autre théorie est celle de Ruskin, plus « conservationniste », qui revendique la non-intervention :

« It is impossible, as impossible as to raise the dead, to restore anything that has ever been great or beautiful in architecture » cf. The Seven Lamps of Architecture, 1849

Avantages : survie pour la mémoire – Inconvénients : fiabilité ?

Reconstruire l’Hermione permet au public de conceptualiser le trois mâts dans un espace en trois dimensions, ce que ne permettent pas de faire des gravures et des plans si le public en question n’y est pas habitué. Les technicités de l’époque sont également revues et refaites, pour les faire perdurer le plus longtemps possible.

Par contre, l’état que l’on peut voir d’une reconstitution doit être nuancé avec la notion de « présentisme » : la présence d’éléments actuels, surtout pour les appareils techniques, faussant l’allure de certains espaces comme la cabine des commandes.

Même si ce projet nous montre l’Hermione et par conséquent un bateau célèbre du XVIIIème siècle et de notre histoire navale et militaire, il faut avoir à l’esprit qu’elle n’a pas tout à fait navigué comme elle l’a fait à l’époque, et que sa forme, son allure et son décor sont basés sur des documents ne traitant pas forcément directement de l’Hermione.

P1010921

Elle est tout de même remarquable par sa taille et ses trois mâts.

Quoi que vous ayez prévu, courrez la voir à Brest cet été ou l’année prochaine à l’occasion de Brest 2016. Et pour ceux qui sont trop loin, je vous propose quelques clichés de son arrivée dans la rade de Brest sur mon compte Tumblr.

L.S.

Une réflexion sur “L’Hermione : comment aborder la reconstitution ?

  1. Pingback: L’Hermione | Le blog d'AMD

Laisser un commentaire